mardi 8 janvier 2008

Ce que disent les Evêques du Congo de la situation au Kivu



LE CONTEXTE

L'évaluation de la situation réelle confirme ce que tout le monde sait, à savoir :- Le Kivu vit une situation de guerres récurrentes. Il y existe un activisme guerrier de certains groupes ethniques arguant leur exclusion ou leur mépris par les autres habitants de la région. On y note une présence nuisible des groupes armés d'origine étrangère. On y constate un activisme réactionnaire de certains groupes armés qui revendiquent de défendre les terres de leurs ancêtres.Tous ces éléments réunis ont rendu difficile la cohabitation pacifique entre les habitants de la région.

LES CAUSES
En examinant cette situation, forte de messages antérieurs des Evêques et actualisés parles résultats de la récente enquête initiée par ses services, la CENCO a relevé les causes ci-après qui sont à la base du désastre que vivent les populations de cette région :
- Au niveau interne :La CENCO constate :· un réel problème d'intégration des populations : certains habitants au Kivu ne se sentent pas entièrement intégrés à la communauté nationale; des problèmes fonciers : la désappropriation des terres arables au profit des éleveurs, créant ainsi un conflit permanent entre les cultivateurs et les propriétaires des grands domaines pastoraux; un problème de conquête du pouvoir: l'exploitation de la haine et de la division ethniques est devenue une nouvelle idéologie au service de politiciens pour la conquête ou la conservation du pouvoir; une question de gestion et d'accès auxressources naturelles : tout montre que le contrôle des espaces où il y a des ressources naturelles est une des causes majeures de la guerre au Kivu (Cfr le rapport du Panel des Nations Unies, l'enquête de Human Rights Watch sur l'exploitation de l'or, le rapport Lutundula ou les différentes mises en garde de Institute Rescue Comittee). On se bat là où il y a des richesses que l'on veut exploiter : la guerre devient un paravent pour couvrir le pillage des ressources. On y exploite aujourd'hui le pyroclore, le coltan, l'or, le diamant, la cassitérite… et le pétrole en perspective; La conduite de certains hommes politiques congolais, caractérisée par la corruption, l'absence de moralité politique et le manque de dignité est avérée : à cause de l'argent, certains politiciens congolais sont prêts à vendre leur pays. La débâcle au Kivu est la conséquence d'une série de comportements irresponsables et traîtres des Congolais eux-mêmes.Il faut ajouter à cela que si cette situation perdure, c'est parce que le pays ne dispose pas encore d'une armée à même de protéger ses frontières et sa population.
- Au niveau externe :La CENCO relève : l'attitude non moins ambiguë de la communauté internationale face au problème des réfugiés, face à la démocratie dans la région des Grands Lacs, face à la mission de maintien de la paix par la MONUC. l'attitude manifestement hostile de certains pays voisins, après avoir signé et ratifié le Pacte de Naïrobi sur la sécurité, la stabilité et le développement dans les pays des Grands Lacs (26 décembre 2006) ; l'affairisme des multinationales autour des ressources naturelles : il apparaît clairement que la guerre au Kivu est une guerre économique dont l'enjeu demeure incontestablement l'exploitation des richesses du sol et du sous-sol. Des agents des multinationales sont particulièrement actifs dans cette région pour vendre des armes, exploiter des ressources naturelles et conseiller les chefs des groupes armés à persévérer dans cette aberration. La place géostratégique de la République Démocratique du Congo avec ses nombreuses ressources est un des facteurs aggravants de l'instabilité au pays.
LES CONSEQUENCES
Les conséquences de cette situation sont énormes : Des millions de morts : une hécatombe sans pareille, mais jamais dénoncée ;Des populations condamnées à l'errance : l'exode rural avec comme conséquence la surpopulation des villes et de grandes cités, l'abandon forcé du secteur agricole, la non scolarisation des enfants, etc. Des déplacements forcés des personnes dans des conditions inhumaines ;· Des viols massifs des femmes et des violations à grande échelle des droits de la personne humaine ; Des tueries systématiques organisées au jour le jour sans que les coupables ne soient appréhendés ;· Des destructions des infrastructures et de l'environnement: des villages incendiés, des ponts coupés, des domaines agricoles et pastoraux ravagés, etc; Des recrutements de mineurs dans les rangs des groupes armés;· Un pillage systématique des ressources naturelles ;· Un appauvrissement accéléré des populations ; · Une exacerbation des clivages ethniques: l'enracinement de la mémoire de vengeance entre les ethnies.
RECHERCHE DES SOLUTIONS
La Conférence Episcopale Nationale du Congo recommande que, dans la recherche des solutions pour sortir le pays de ce désastre, les participants aux assises de Goma puissent porter leur attention sur les points ci-après :· Ils doivent se concentrer sur les causes réelles du conflit au Kivu et ne pas se contenter des causes apparentes. Pour ce faire, des questions de fond doivent être posées :- Quelles sont les vraies revendications des uns et des autres ?- Qui arme les milices ?- La présence des Interahamwe et autre ethniques apparentés aux portes du Rwanda n'est-elle pas l'une des causes profondes de la déstabilisation de la région du Kivu ?- Qu'adviendrait- il si les quatre cents ethnies du Congo prenaient les armes pour faire entendre chacune sa voix ?

INTERPELLATION.
La CENCO interpelle les habitants du Kivu pour qu'ils se considèrent comme des frères et soeurs. La CENCO interpelle la Communauté nationalepour qu'elle prenne conscience que notre pays est au centre des convoitises régionales et internationales. Au cours de cette conférence, il sied à tous de parler le même langage car la cause qui nous engage au Kivu est une cause nationale. La CENCO demande au niveau de la sous-région le respect du droit national et international, notamment les droits des Etats, des groupes humains et des individus. A la Communauté internationale, la CENCO demande de jouer un franc jeu et de protéger les intérêts de tous les Congolais. Tout le monde gagnerait avec un Congo en paix plutôt qu'un Congo en guerre. Que toutes les puissances et leurs multinationales soient amenées à travailler pour la paix dans la région des Grands Lacs. Aux dirigeants de notre pays qui ont prisl'initiative de cette conférence, l'occasion leur est donnée de se montrer responsables. La CENCO exhorte le Gouvernement à « ne pas décevoir les attentes de la nation » qui veut voir la paix, la sécurité et le développementdevenir une réalité pour le grand bien de notre population. La CENCO est convaincue qu'il n'y a pas de paix sans justice. L'impunité encourage denouvelles velléités insurrectionnelles.